Adapei des Pyrénées-Atlantiques

S’en sortir sans sortir

Nos cités, devenues silencieuses, toutes chamboulées ! Nos routes de campagnes et nos sentiers de montagnes, désertées !  Covid19, a cogné aux portes du monde, subrepticement, étrangement. Et même nos imaginaires n’ont rien vu venir. Frontières verrouillées, tourmentées.

Chacun s’est réfugié dans son chez soi, enfin… ceux qui en ont un. Les va et vient du quotidien ? C’est déjà loin ! Enfin…sauf pour tous ceux qui font équipe, et bossent à faire du bien.

Le temps s’étire, reprend son temps. Je me prépare à tout. Etre prête au cas où à continuer, à reporter. J’imagine une suite possible. Je relis mes notes, ce qui a été fait avec chacun (43 ouvriers, 7 ESAT).

Chacun chez soi, mais des ondes pour nous relier ! Tout le monde n’a pas d’ordinateur, mais un téléphone, oui. Alors un écouteur à chaque oreille et un cordon à nos Samsung, et on pourrait s’brancher, non ? Ce serait déjà ça !

Proposer de nouveaux rituels de rencontres pour se préparer à mieux apprendre, viser en priorité l’expression orale (par exemple décrire avec précision ses activités journalières, sa chambre, son logement, les espaces de son foyer, les espaces extérieurs que l’on aperçoit…), faire évoluer les « habitudes de calcul » de chacun, (s’organiser pour compter, dire l’heure, compter de 5 en 5, la monnaie…). La sphère de l’écrit ? Epeler ses noms, prénom, son adresse… Devenir plus attentif à des repères visuels pour prendre de l’information sur des supports autour d’eux ?  Des lectures plaisir avec des sons simples ou complexes qu’ils ont repérés utiles par eux ? Des dictées téléphoniques avec du vocabulaire usuel et des points de grammaire de base ? La graphie ? On verra ! Des sites possibles à explorer, dont ils pourraient s’emparer ? Tous plutôt dédiés aux enfants mais bon, pour le moment… Et puis quelques jeux créatifs pour aller là où on ne s’attend pas, et juste pour rire ensemble. Bref, mieux écouter, regarder, réfléchir, s’évader, apprendre autrement ?

Le temps pour le CFR, les directeurs des ESAT et les coordonnateurs de proposer cette formule à tous, de réunir les numéros de téléphone de ceux qui sont motivés, et c’est parti !

24 ouvriers inscrits en atelier CDB, habituellement réunis en groupe de 6, disent oui, éparpillés qui, chez ses parents, qui, en appartement, qui, au foyer… Ce qui a été tissé AVANT, ils ne l’ont pas oublié. Une empreinte qui  a suivi son chemin.

– Tu te souviens de ce qu’on faisait  en atelier compétences de bases au CAT ?
– Oui, lire, écrire, compter et aussi, le mouvement…
– Raconte !
– Ben, on commence par respirer. Ça détend.

De chez soi, nos voix…  Leurs timbres, les débits propres à chacun, les fragiles silences. Nous tressons ensemble, solidement, la persistance du désir d’apprendre.

–  Bonjour. Tu es au rendez-vous. Super. Mais au fait, pourquoi ? 
– “Pour que ÇA continue ! Pour pas perdre les CHOSES…Parce qu’on ne peut pas aller au CAT à cause de ce virus”
–  C’est quoi ÇA… les CHOSES… ? 
– “Ben,  lire, écrire, compter, m’exprimer… pour pouvoir répondre quand on me demande. … et puis parce qu’un jour, je voudrais…”

Depuis chez vous, vos voix. Celles qui attendent les questions pour dire. Celles plus volubiles qu’il faut freiner pour que se dise ce qui se cherche vraiment. Celles qu’on comprend mal et qui s’efforcent de dire mieux. Celles discrètes habituellement, qui là, deviennent claires et assurées. L’art de l’écoute et de la question, à l’honneur. L’infa-ordinaire se déplie. L’intime devient un appui.

– Tu es où ? Tu fais quoi ? Il y a une fenêtre, un balcon, un jardin là où tu es ? Tu peux ouvrir ta fenêtre ? Tu peux aller sur ton balcon, ta terrasse, dans ton jardin ?

J’ouvre moi aussi, ma porte et vais “dehors”. On se donne alors de l’air ensemble. Souffle de l’inspiration et de l’expiration partagé dans le creux du téléphone. S’étirer, même d’un seul bras si on ne sait pas mettre le haut-parleur en marche. Faire du bien à nos corps confinés, en faisant attention aux genoux et aux dos douloureux. Trouver, sentir, ce qui est bien et possible pour soi. Six à sept  fois de suite, les mardis et jeudis, je respire et m’étire aussi. Merci à eux.

– Tu es essoufflée ? Tu arrives d’où comme ça ?
– De ma chambre. Je tricotais et cousais une poupée !
– Raconte !
–  Ho là là…Il y en trop !
–  Tant que cela ??
– “Eh, ben, il y a celles qui sont finies” (Elle en compte 9). “Et il y a celles que je n’ai pas commencées ou pas terminées”. Elle se met à compter, portée par une attention passionnelle. Elle reprend son souffle souvent. Elle finit par s’arrêter. A… 127 ! 

– Je te réveille ??
–  … Heu…Je suis dans ma cuisine. Je déjeune.
– Ok. Difficile de se lever en ce moment hein ?
– Oui, je me réveille, quand je me réveille…
– Pas mal, oui. Mais…nous avions RV… Ça te dit toujours qu’on travaille ensemble au téléphone ?
– Oui, oui !
– Ok. Alors, dis voir, est ce qu’il y a une horloge dans ta cuisine ?
– Oui, juste en face de moi.
– Super. Je t’attends. Bois tranquillement une gorgée de ton chocolat, croque dans ta tartine et on travaille l’heure, d’accord ?
– Ok !

– Bonjour !
– Ça va ? Endormi ? Tu t’es couchée tard hier ?
– … Je ne sais pas. Je me couche quand mes yeux se ferment…

– Où es-tu ?
– Je suis dans mon salon.
– Raconte ! Dans ton salon, il y a…Par quoi pourrais-tu commencer, pour me le faire imaginer ? Les murs ou les meubles ? Les objets ou les tissus ?
– Dans mon salon, je vois…mon buffet et au-dessus la grande photo de notre mariage…
– Raconte !

– Raconte encore ! Depuis ta fenêtre, tu vois…
– Je vois des arbres. Des maisons, tout ça…
– Tout ça ? Regarde mieux.
– Il a des fleurs, des pâquerettes, Caline et Réglisse mes chats…
– Oui. Et maintenant regarde grand et au plus loin devant…
– Je vois le ciel, quelques nuages blancs, la montagne avec un peu de neige sur les sommets.

– Depuis chez moi ? Je vois…Je vois, mon jardin.
– Raconte ! Tu plantes des semis ?
– Oui des oignons
– Tu fais ça souvent ?
– Non là c’est moi parce que mon père est resté coincé au Maroc. Moi je suis rentré  avant lui parce que je travaillais. C’était juste avant le problème du virus là, le corona !

– Moi, je vois le potager du foyer. Je m’y promène oui, dans le potager !
– Tu sens quoi quand tu t’y promènes ?
– …
– Tu feras attention la prochaine fois ? Tu me raconteras les couleurs, les odeurs, les sons, le silence ?
– Oui

– Alors moi, de mon balcon, je vois… Ma rue, à gauche la caserne des pompiers, et en face, un immeuble caché par un arbre. Mais personne. Le silence.
– Ça te fait quoi ce silence ?
– Du bien.

– Raconte !
– Comment il s’écrit ton prénom ?
– B… . Je fais un trait debout et collé dessus un 3.
– Oui, continue. Raconte-moi les lettres.

– Bonjour, ça va ? Alors à 10h d’habitude, qu’est-ce que tu fais ?
– Je regarde la télévision.
– Raconte !
– Ben, de tout… J’sais pas.
– Et à 14h ?
– Je bois le café et je regarde la télévision

– Moi, hier matin, j’ai regardé un documentaire sur les kangourous sur Arte en faisant du vélo d’appartement avec ma mère et puis, j’ai écouté de la musique. Après, j’ai aidé mes parents au repas, et l’après-midi, j’ai  regardé une émission sur l’Australie …J’ai adoré.

– Ce matin, moi au foyer,  j’ai fait du ponçage et de la peinture de tables et de bancs. Le soir, je suis dans ma chambre, j’écoute Mike Brant et je colorie des mandalas.
Nous entonnons aussitôt ensemble : ” C’est ma prièère… !!! ” Nous rions.

– Bonjour. Je viens de t’appeler sur ton portable. Tu n’as pas répondu, du coup je t’appelle sur ton fixe. Ça va… ?
– … Je me suis couché tard, j’ai regardé la télé… Je n’ai pas très envie…
– … Raconte.
–  … Je préfère quand on se voit à l’ESAT.
– … Oui, mais… on ne sait pas quand ça va reprendre, alors en attendant… ?
– ….
– … Aujourd’hui puisqu’on y est, on pourrait travailler sur la précision et l’articulation de ton message téléphonique ?  Qu’en dis-tu ?  Je n’ai pas tout compris tout à l’heure en l’écoutant. Et puis tu prendras ta décision après, d’accord ?
– Oui.
– Qu’est-ce que tu voudrais dire sur ta messagerie ?
– « Bonjour. Vous  êtes bien sur la messagerie de … Laissez-moi un message. Je vous rappellerai dès que possible ».
– Ok !

Et le numérique dans tout cela ? Une promesse d’autonomie, de découvertes. Prendre en main des applications, le moment où jamais sans doute. Ceux qui ont du matériel, s’y sont parfois essayés, certains accompagnés de leurs parents ou de leurs éducateurs, l’ont fait avec succès. Certains peut- être persisteront.

Désordre d’abord…
– Alors, tu es ok pour qu’on cherche ensemble, des exercices sur les sites à propos des différentes écritures du [o] ? On avait vu que c’était un souci pour toi, au dernier atelier, tu te souviens ?
– Oui. Je regarde dans quoi ? “Lecture” ?
–  Heu…Attends … oui… puis dans “sons complexes du français”.  
– J’y suis… Oui, mais en fait Yaël, ça, je préfère qu’on le fasse quand on sera au CAT, tous ensemble. Là, je voudrais apprendre l’anglais.
– Ah. Ok. Oui, tu m’avais dit, …
– Mais ce qui m’intéresse, c’est l’anglais avec l’accent irlandais. Il y a ça tu crois ?

– Là je suis sur les “écritures additives”, c’est quoi les “écriture additives” ?
– C’est pour t’entraîner à l’addition.
– Ah. Oui mais moi, je voudrais faire tout, des multiplications, des divisions… Je voudrais passer mon CFG…Trop difficile ?…

Les éducateurs dans les foyers sont tous sur les starting block, prêts à réinventer avec chacun. L’ADAPEI 64, oui, une communauté apprenante…

–  « Alors sur le premier site, on a regardé les suites numériques de niveau 2. Il fallait mettre les nombres en ordre de 0 à 9. Sur l’autre site on a regardé des exercices de lecture permettant de deviner un mot grâce à un dessin et de faire des additions grâce à un puzzle.

On se découvre sous un autre angle, on est ailleurs que sur l’entretien de la chambre. On prend le temps ensemble. Ce WE, je serai au foyer, je vais sortir les photocopies sur la numératie. On pourra en faire des fiches qui serviront aussi  aux autres ouvriers. Oui, commencer par respirer, bouger pour apprendre…J’avais déjà animé des séances de relaxation dans la salle à mandalas… Je pourrais… ».

Au téléphone fixe dans le bureau d’un éducateur : il a installé l’ouvrière confortablement et s’est échappé discrètement pour la laisser tranquille…

– Alors tu étais embêtée avec le son [e] qui s’écrit, c’est vrai, de plusieurs manières et dans plusieurs temps.
– Oui.
– Je te propose d’essayer d’apprendre deux écritures de ce son, utilisées dans le futur. On essaye ? Ecoute ! C’est comme une chanson : RAI, RAS, RA, RONS, REZ, RONT. Allons y ensemble !
–  RAI, RA…
– Bien. Et Maintenant ferme les yeux et écris le premier RAI derrière tes yeux. Je te l’épelle : R.A.I. Tu peux l’épeler à ton tour ?
– R.A.I
–  Trouve une phrase où tu vas l’utiliser… Demain, je…
– “Demain, je retournerai travailler …”

Les parents sont également de la partie. Discrets, présents…

– Alors depuis la dernière fois, j’ai choisi un tigre dans mon livre d’animaux et je l’ai dessiné. Je te montrerai quand on se retrouvera à l’ESAT. J’ai aussi dessiné des tulipes de mon jardin. Tu m’avais dit d’écrire des mots importants pour moi. Ma mère les a écrits et moi je les ai recopiés.

– Oui. Alors qu’as-tu choisi comme mots importants pour toi ?
– Elan béarnais (Pau Lac Orthez) LNB (Ligue nationale de Basket)
– Et quels autres mots ? Petit pain (j’aime bien), confitures de figue, de pastèque, de melon et de prune aussi…
– C’est les confitures de ta maman ?
– Oui elle fait tout ça, elle m’en donne des fois, quand je suis dans mon appart. J’aime bien.

– Donc pour la prochaine fois…
Faire 3 grandes respirations et 3 étirements, tous les jours si tu peux.
Faire la liste des produits que tu vois dans ton frigidaire.
Ecouter le silence de ton jardin
Apprendre la chanson de Mike Brant que tu aimes le plus
Observer Caline et Réglisse.
Me dire bonjour en anglais avec l’accent irlandais ou pas.
Noter les exercices que tu auras choisis de travailler sur l’un ou l’autre des sites proposés.
Mettre ton réveil à 9h pour être à l’heure à notre RV
Enregistrer ton nouveau message sur ton portable
Compter les poupées par groupes de 10.

Tu notes sur le calendrier qui est sur la table de ton salon ? Rendez-vous dans 15 jours, le 23 avril à 10h15, donc la même heure qu’aujourd’hui. C’est ok pour toi ?
– Oui oui, très bien !… Mais, Yaël…tu sais quand on va revenir travailler ? …

A suivre…

Yaël Uzan-Holveck
Formatrice Compétences de base pour le CFR / Adapei des Pyrénées-Atlantiques

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